Tout chemin mène… à Bandjoun

On a pu lui disputer quelque prétention, mais Fotso Victor n’écoutait que son cœur. Il a trouvé sa voie en arpentant « Le chemin de Hiala ». De Hiala, il a fait le tour du monde des affaires avant de retourner se poser à… Bandjoun les 30 dernières années de sa vie. Jusqu’à sa fin. Et éternellement.

Ceux qui ont bien connu Fotso Victor savent que pour lui, Bandjoun était le centre du monde. Les scientifiques pouvaient déployer leurs meilleures théories pour démontrer le contraire, mais pour lui, la terre tournait autour de son village natal. Jean Fochivé disait de cet homme que le Cameroun tout entier enviait – et envie toujours –  à Bandjoun : «Si tu veux obtenir n’importe quoi de Fotso Victor, parle-lui de Bandjoun.» Difficile de faire mieux quand on connaît bien le patriarche Bandjoun qui nous a quittés le 20 mars 2020 à Paris, si l’on veut parler de son attachement à la terre qui l’a vu naître.

Fotso Victor et Bandjoun, c’était l’écorce et l’arbre. Un couple fusionnel, passionnément amoureux, lié pour la vie, qui pouvait, indifféremment simultanément ou successivement, filer du bon coton comme du mauvais. En cas de pépin, le lendemain, ils reprenaient là où ils avaient laissé sans témoin et sans rituel de réconciliation. Si l’on devait célébrer cette idylle peu ordinaire, ce seraient peut-être des noces d’eau. Mais sans doute des noces inclassables. Seule certitude, ce sont des noces uniques à ce jour. Beaucoup ont tenté d’y glisser le doigt et, s’en sont mordu… les doigts ! Le couple a tenu bon. L’un donnant à l’autre sans compter, et réciproquement. Normal, quand on aime on ne compte pas. Son Bandjoun, à travers ses rois successifs, lui a témoigné son amour, son respect et sa reconnaissance en lui donnant ce qu’il a de meilleur : la gratitude. Le motokwa, mot suprême pour témoigner sa gratitude dans notre culture. Ainsi, il a franchi toutes les étapes de la notabilité, bénéficiant finalement d’un titre créé sur mesure : Fowagap, puis Fogniapgoung.

L’idylle d’un édile avant l’heure

Fotso n’était pas encore maire quand il dirigeait l’essentiel de ses actions sociales vers Bandjoun, intra-muros ou non. Ainsi par exemple, de nombreux foyers sociaux de filles et fils Bandjoun de part et d’autre du Cameroun portent, sinon son estampille, du moins sa contribution déterminante. Puis un jour, il a voulu affronter le suffrage universel. Un exercice clivant par excellence sous nos cieux, même pour une élection de proximité comme celle du maire qui, a priori, est là pour tous. Mais tout bon couple alterne des phases de séquences torrides et de séquences tièdes. Monsieur le maire tenait à laisser des traces indélébiles…

Un jour de 2002, l’édile de Pète m’avait confié, dans le secret de son bureau à la mairie, la genèse de l’immeuble de la préfecture. Après la création du département du Koung-khi (inutile de préciser qu’il était à la manœuvre) dont le siège revenait à Pète-Bandjoun, il avait à cœur d’offrir à l’Etat un bâtiment pouvant abriter la préfecture. A la fois en guise de remerciements et pour montrer à l’autorité publique que Bandjoun était capable d’abriter les services préfectoraux sans gruger le budget de l’Etat plutôt ténu. « J’étais allé voir mon ami Gilbert Andzé Tsoungui (le ministre de l’Administration territoriale d’alors) pour lui parler de mon projet, disait-il alors. Il m’a dit : ‘’ Victor, tu es mon ami. Et tu sais que je ne peux rien te refuser. Les seuls plans que j’ai ici étaient destinés à la préfecture de Sangmelima. Mais comme tu es déjà prêt, je te les donne’’ ». Ainsi est né le joyau architectural qui a littéralement transformé le centre administratif de Pète dans toute sa splendeur, sublimé par le bâtiment adjacent de la mairie, son autre œuvre d’envergure, bâtie rubis sur l’ongle.

Une empreinte indélébile

Aujourd’hui, chacun peut observer que Bandjoun est devenue une ville universitaire qui n’a rien à envier aux autres villes de même acabit voire plus grandes. L’Iut Fotso Victor attire les jeunes des quatre coins du Cameroun et d’ailleurs. Sa seule présence a revalorisé le coût de vie à Bandjoun : des loyers d’étudiants à l’écoulement des produits de l’agriculture. La forte demande en biens de consommation a considérablement relevé le niveau de vie des populations. Le réseau routier qui s’est densifié avec le temps et par ses soins favorise les investissements, notamment en offre de services hôteliers et en fermes agropastorales…

Il est vain de chercher à citer les œuvres de charité de Fogniapgoung en faveur de Bandjoun et de son pays, au risque d’en oublier. Il faut en chercher les marqueurs sur les populations bénéficiant directement ou indirectement des services sociaux et de sa générosité proverbiale, sur le flux des filles et fils Bandjoun que son groupe a employés et emploie encore, mais aussi sur le rayonnement que sa haute personnalité a attiré sur Bandjoun à l’intérieur comme à l’extérieur de Bandjoun.

De toutes les façons, c’est encore le temps des émotions, et Bandjoun porte encore le deuil de cette idylle éternelle. La grande histoire, et celle de Bandjoun, dans laquelle il était déjà entré de son vivant, continue de s’écrire. Avec lui, en dépit de son absence.

Dominik Fopoussi